Témoignage d’un vieux pêcheur à la mouche breton
En 1992, notre ami Marcel Madec a interviewé un ancien pêcheur à la mouche de la région morlaisienne, monsieur Le Stum qui avait alors plus de quatre vingts ans. Voici l’essentiel de cette interview enregistrée sur cassette.
«- J’ai découvert la pêche à la mouche alors que j’étais en garnison à Guingamp.
– Pour apprendre cette pêche, je me suis adressé à un certain Minihy, pêcheur professionnel, habitant près de chez ma famille à Lannéanou. Au début, il a refusé de m’apprendre, puis, il a fini par accepter d’être mon professeur à condition de lui payer sa journée. Quand nous pêchions le Douron, je lui payais le repas de midi au restaurant et je lui donnais de quoi acheter un litre de vin.
– C’est ainsi que j’ai tout appris avec lui : à pêcher ; à monter des mouches ; à choisir la rivière… J’ai, toute ma vie, suivi ses conseils et je n’ai jamais changé ma façon de pêcher.
– Je n’avais pas d’argent et mes premières cannes étaient faites de bambous coupés dans le parc d’un château. Ils mesuraient environ trois mètres. On les mettait à sécher dans le grenier, puis on les durcissait dans la cheminée du sabotier.
– J’ai acheté ma première canne en 1931. C’était du bambou venant du Japon. Je l’avais payé 30 F. C’était cher pour l’époque. La miche de pain ne coûtait que 20 sous et je me suis, alors, fait «eng… » par ma mère.
– Le moulinet était un petit moulinet, pour la pêche au coup, garni d’un gros fil. Je n’ai jamais utilisé de soie.
– Mon matériel me suffisait pour capturer beaucoup de truites. Au début, avec mon bambou, j’utilisais des racines, de la même longueur que la canne et qu’il fallait mouiller au préalable.
– Je ne pêchais qu’en noyée, avec une seule mouche. Minihy m’avait appris à monter les mouches à la main. Je les montais soit à la maison, soit au bord de l’eau. J’avais toujours, dans ma poche, une boîte en fer, avec des hameçons, des brins de laine, du coton (des noirs, des gris, des jaunes, des lie-de-vin) ainsi que des plumes. Mes mouches étaient très simples, des araignées sans cerques – Toujours les mêmes modèles :
• une grise à corps noir ;
• une jaune à corps gris
• une rousse à corps lie-de-vin (hameçon N°12).
– Je pêchais le plus souvent pendant mes permissions de militaire et pendant ma retraite, que j’ai prise très tôt. Je pêchais généralement de bon matin, ainsi qu’en fin d’après-midi, quand je sentais le temps favorable. J’arrêtais de pêcher quand ma musette était pleine, ce qui arrivait assez souvent. Pleine, elle contenait dix ou quinze truites ; celles-ci n’étaient pas très grosses mais belles quand même. Je prenais mes plus grosses truites dans l’Aulne. Je ne remettais jamais un poisson à l’eau. Je les donnais à ma famille ou à des voisins.
– J’étais le seul pêcheur à la mouche du village de Lannéanou. La dizaine d’autres pêcheurs ne pêchait guère que le dimanche, tandis que moi je pratiquais surtout en semaine. Les autres pêchaient surtout au ver ou, en été, à l’insecte. certains pêchaient au vairon.
– Les dernières années, avec ma voiture, je pêchais surtout l’Aulne et le Squirriou, autour de Scrignac mais les poissons étaient moins nombreux et je n’avais plus les mêmes résultats.
Minihy m’a appris à choisir la rivière. C’était un professionnel qui pêchait tous les jours pendant la saison de pêche. Il avait un circuit. Tel jour, telle rivière. Il vendait tous ses poissons. Sa devise était : «Telle mouche pour telle rivière». Il savait toujours laquelle choisir. J’ai fait comme lui. Il ne pêchait jamais la même rivière deux fois de suite :
• Sur le Douron, une mouche sombre, noire avec une plume gris-noir ;
• sur l’Aulne, une plume grise et un corps gris, parfois un peu plus clair ;
• sur le Squirriou, c’était la mouche rousse, à corps lie-de-vin, qui était la plus efficace.
– Le mari de l’institutrice, qui pêchait aussi à la mouche, avait beaucoup de mouches et changeait souvent de modèle. Je prenais bien plus de poissons que lui !
-Les rivières étaient plus encombrées que maintenant. On ne pêchait que les «trous». Les paysans coupaient souvent les bois des rives et les jetaient dans l’eau. Il fallait alors beaucoup marcher et avoir de l’adresse pour lancer dans les trouées mais, quand on réussissait, il y avait presque toujours une truite au bout.
– Minihy m’a appris où et quand pêcher. Avec tel temps ou telle température, telle rivière était moins bonne… ou alors il fallait y aller à telle heure – ou plutôt le matin ou le soir. Tout dépendait du temps et des vents.
– En suivant ses conseils, je me trompais rarement. Je savais tout de suite si les truites étaient en activité ou non. Pour moi la pêche à la mouche était quelque chose de simple. Je faisais surtout attention à ce que la truite ne me décèle pas.
– Ne voyant pas ma mouche, je tenais le fil dans ma main gauche et une secousse m’avertissait aussitôt que la truite était au bout. En pratiquant ainsi, j’avais assez peu de ratés. Curieusement, il m’arrivait de savoir qu’une truite était au bout avant même de recevoir la secousse. J’avais l’impression de ressentir quelque chose dans mon poignet. Je m’efforçais d’avoir toujours mon fil tendu.
– Je ne pêchais pas les gobages. Je n’ai jamais cherché à savoir ce que mangeait la truite ;
– J’ai toujours suivi les conseils de Minihy : «une rivière, une mouche». Le plus important était de savoir où poser la mouche et de ne pas se faire repérer du poisson.
– Je n’ai jamais pêché autrement qu’à la mouche et je ne l’ai jamais regretté. Pour moi la pêche à la mouche était la plus belle de toutes».
Monsieur Le Stum a terminé sa vie plein de beaux souvenirs. Ce fut un pêcheur heureux et qui le laissait sentir.