Robert Pashley, le « magicien » de la Wye
par Pierre Phélipot
G. Kelson disait que l’on ne devrait pas donner des conseils sur la pêche du saumon avant d’en avoir capturé au moins trois mille. Dans ces conditions s’il est quelqu’un qui nous semble particulièrement qualifié pour parler de pêche du saumon, c’est bien le fameux Robert Pashley avec plus de dix mille captures.
La Wye est une grande et belle rivière dont les cours moyen et supérieur coulent au Pays de Galles et le cours inférieur en Angleterre. Au 19ème siècle, ses populations de saumons s’étaient effondrées du fait des pêches excessives, au filet, en zone estuaire – A noter que, jusqu’en 1889, on y pêchait encore le saumon à l’aide de loutres apprivoisées !
La Wye Preservation Society entreprit alors de réhabiliter cette rivière à saumons par l’achat méthodique – jusqu’à complète élimination – des droits de pêche au filet, ainsi que par la construction de passes migratoires fonctionnelles. Les résultats furent spectaculaires et la Wye redevint, à partir du début du 20ème siècle, l’une des meilleures rivières à saumons des Iles britanniques.
L’histoire de cette réhabilitation exemplaire nous a été racontée, d’une façon très bien documentée, par H.A. Gilbert dans son livre fascinant : « The Tale of Wye Fisherman », publié en 1928, avec une nouvelle édition revue et complétée, en 1953.
L’auteur, lui-même passionné pêcheur de saumons, qui prit, dans la Wye, en 1927, un poisson record de 22,24 kg, nous raconte aussi l’histoire d’un fabuleux pêcheur de saumons de la Wye, qu’il avait bien connu, Robert Pashley, surnommé, le « magicien » de la Wye.
Celui-ci commença à pêcher le saumon, à la mouche, dans la Wye, en 1906, avec une canne à truite. Cette première année, il en captura 60. L’année suivante, il en prit plus de cent. En 1912, il en prit plus de cent, à la mouche, en moins de trois semaines. 1936 fut sa meilleure année avec 678 captures, sans compter les femelles libérées, en été et en automne. Le poids moyen de ses 678 captures était de 7,5 kg. En 1926, il captura 535 saumons, pour un poids total de 3.428 kg – plus de trois tonnes -, presque tous sur la canne à une main !
En une matinée d’avril 1938, il captura quatre poissons de respectivement, 13,15 kg, 13,4 kg, 9,2 kg et 8,8 kg et l’après-midi du même jour, trois autres de 11,4 kg, 11,3 kg et 9,8 kg. Ce même jour, il en perdit un énorme qu’il suivit sur 2,5 km !
De 1906 à 1951, il captura plus de 9800 saumons sans compter les femelles libérées. A son actif, il a 14 poissons de plus de 40 lbs (18,15 kg). Il est vrai qu’à cette époque, la Wye était une rivière à gros saumons. Entre 1914 et 1938, onze poissons de plus de 50 lbs (22,7 kg) ont été sortis, à la ligne, de cette rivière, le record étant un poisson de 27 kg par Madame Pryce-Jenkins (chose curieuse, tous les plus gros saumons pris à la ligne dans les Iles britanniques l’ont été par des femmes ! Le record est un poison de 29 kg par Miss Ballantyne, sur la Tay, en 1922. Le record, à la mouche, est un poisson de 27,7 kg par Madame Morrison, sur la Deveron, en 1921).
– La grande force de Robert Pashley résidait dans un exceptionnel sens de l’observation et une grande capacité de concentration. Il avait acquis une profonde connaissance du comportement des saumons et de leur position sur ses parcours de pêche, suivant le niveau de l’eau. Ses conseils restent toujours précieux pour les pêcheurs de saumons d’aujourd’hui.
Pour R. Pashley, la vision du saumon est, au moins, aussi bonne que celle de la truite. C’est pourquoi il abordait toujours la rivière avec une très grande discrétion, et limitait ses faux lancers.
– Il prenait le plus grand soin de son matériel et surveillait constamment ses nœuds.
– Il était persuadé qu’au printemps, le saumon qui prend la mouche la garde dans sa gueule jusqu’à son repositionnement. C’est pourquoi, à cette époque, un ferrage rapide est contre-indiqué. Il suffit, nous dit R. Pashley, de lever la canne lorsque le saumon est reposté.
– Par contre, en été, le saumon recrache bien plus rapidement la mouche, de sorte que le ferrage à la canne est alors beaucoup trop lent ! Pashley conseille, à cette période, de ferrer à la main, dès la tirée du poisson.
– R. Pashley commençait toujours par pêcher méthodiquement tout contre sa berge, avant de lancer sa mouche plus au large.
Il pêchait parfois en barque, une nécessité sur certains parcours de cette large rivière. En été, il lui arriva de prendre des saumons à la mouche sèche et il recommandait, alors, un ferrage très rapide.
Hélas ! depuis le début des années 70, les saumons se sont progressivement raréfiés dans cette rivière. Notre ami André qui a longtemps pêché sur un parcours de la Wye, y réalisa sa dernière bonne pêche en 1975 : sept saumons de 6 à 9 kg, en deux jours, près de Hay-on-Wye.
Le déclin des saumons dans la Wye « coïncide » avec l’apparition des filets dérivants irlandais en nylon. Pollutions, barrages ainsi que boisements massifs en conifères dans les têtes du bassin ont également contribué au déclin des populations de saumons – (A noter que certains petits affluents de la haute Wye coulant à travers des massifs de conifères, sont totalement stériles).
Pour arrêter ce déclin et réhabiliter les populations de saumons, il s’est créé, en 1995, une fondation privée, financée par des contributions volontaires, et soutenue par les propriétaires de pêches privées, les associations de pêche et des défenseurs de l’environnement. C’était la Wye Foundation. En 2002, cette fondation a également regroupé les défenseurs de l’Usk, rivière possédant un estuaire commun avec la Wye, l’estuaire de la Severn. Elle a pris le nom de Wye and Usk Foundation. Cette fondation a réussi à obtenir d’importants subsides de la Communauté Européenne.
En quelques années, la Wye and Usk Foundation a déjà accompli un travail impressionnant : rachat de tous les droits de pêche au filet du saumon et de la truite de mer dans l’estuaire, réhabilitation de kilomètres de rives, tant sur les rivières que sur leurs affluents, constructions de passes à poissons, arasements de barrages, etc.
La pêche du saumon au ver et à la crevette est désormais interdite dans ces rivières. Comme dans les autres rivières anglaises et galloises, tous les saumons pêchés avant le 16 juin doivent obligatoirement être libérés (morts ou vifs). Après cette date, la Fondation recommande vivement la libération des poissons pris à la ligne. C’est ainsi qu’en 2004, 72 % des saumons pris à la ligne, après le 16 juin, ont été libérés. On estime ainsi qu’en 2002, 2003 et 2004, environ 610.000 œufs de saumons ont pu être sauvegardés !
Cette politique commence à porter ses fruits. Les populations de truites et d’ombres sont en nette augmentation. En 2004, un peu plus d’un millier de saumons ont été pris à la ligne, dans la Wye, en grosse majorité des poissons de deux ans de mer (peu de castillons). Il s’est pris quelques poissons de 9 à 14 kg, ainsi qu’un spécimen de plus de 15 kg. Vous trouverez plus de détails sur cette fondation exemplaire sur son très beau site : http://www.wyeuskfoundation.org.
Ceci nous montre que quand les pêcheurs savent intelligemment regrouper leurs forces, en faisant fi des égoïsmes personnels, le succès est au rendez-vous. On a les rivières que l’on mérite !