lletin n°44
Quelles rivières laisserons-nous à nos enfants ? La question se pose, récurrente. Elle va bien au-delà du constat de l’état précaire de nos cours d’eau. Nous nous acharnons à les restaurer, nous sommes engagés dans les combats menés par nos associations, mais les temps changent, la biodiversité s’étiole. D’autres questions suivent, plus insidieuses. Nos enfants vont-ils revendiquer cet héritage ? Ont-ils envie de rivières propres et de poissons bondissants ? Des psychologues* ont récemment mis en évidence le « trouble de déficit de nature ». Reclus dans la cité, fasciné par les objets connectés, l’enfant de ce début de 21° siècle aurait une approche virtuelle et peu affective du monde « qui pourrait à terme engendrer une indifférence globale envers le sort de la nature ». D’autres chercheurs dénoncent une « amnésie environnementale générationnelle ». Quand l’enfant a l’âge de vous suivre à la pêche, il est parfois trop tard. Vous aurez droit à une parole franche : « Sympa la nature, mais je préfère la ville » ou au désespérant : « La pêche c’est un truc de vieux ». Ces recherches ont aussi montré l’importance de la petite enfance dans l’apprentissage de comportements attentionnés à l’égard de l’environnement. Il en ressort que nous devons nous intéresser davantage aux tout petits. L’objectif est l’émerveillement de la découverte. Vous n’aurez pas grand-chose à faire, ils sont d’une insatiable curiosité. Dans un endroit calme, une prairie, les berges d’une anse peu profonde de la rivière (les lieux propices ne manquent pas chez nous), laissez-le malaxer la terre d’une taupinière, jouer avec un ver, un scarabée, bondir avec les sauterelles, patauger dans le limon à la poursuite des têtards. Rien ne vous empêche alors de commenter ses découvertes. Il apprend ainsi à nommer les êtres et perçoit la valeur que vous leur accordez. Si vous ramenez à la maison un bambin crotté jusqu’au menton, vous subirez les foudres des tenants de la norme qui veut que le petit garçon, la petite fille, soient mis sous cloche. Enfant roi qu’ils lâcheront plus tard, ignorant du monde, dans la jungle de la société. Qu’importe, vous aurez fait ouvre d’éducation et laisserez à jamais dans sa mémoire la trace d’une expérience inouïe, la rencontre avec le vivant non humain. Il nous revient, parents, grands-parents, arrières grands-parents, d’assumer notre rôle de « passeur de nature » et cela dès la prime enfance, de réparer le lien brisé, de retendre le fil qui unit l’enfant à la rivière. À cette condition, et à cette condition seulement, nous saurons que nos efforts, nos engagements, n’auront pas été vains. Christophe Morin * Le souci de la nature, ouvrage collectif publié sous la direction de Cynthia Fleury et de Anne-Caroline Prévot, CNRS ÉDITIONS, 2017. |
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