Les herbes aquatiques contribuent à la richesse de nos cours d’eau bretons. Elles servent d’abris et de support à d’innombrables invertébrés. Elles soutiennent le niveau de l’eau en période d’étiage. Elles jouent un rôle épurateur en filtrant efficacement l’eau. Dans la journée, sous l’effet de la photosynthèse, elles fournissent de l’oxygène indispensable à la vie aquatique.
Par contre, au cours de la nuit, l’effet photosynthétique s’arrête, de sorte que les herbes aquatiques qui continuent à absorber de l’oxygène, peuvent, dans certaines circonstances, en période estivale, contribuer à provoquer des mortalités de poissons.
Si l’utilité des herbes est indéniable dans un cours d’eau, leur abondance excessive peut être préjudiciable tant à la vie aquatique qu’à la pratique de la pêche. Il arrive même, quand les bancs d’herbes sont trop denses, que les insectes aquatiques ne parviennent plus à émerger. Or, on constate, depuis quelques années, une véritable “explosion” de la végétation aquatique, en particulier des renoncules (Ranunculus pseudofluitans) dans un bon nombre de cours d’eau bretons transformés en “prairies vertes”. Ce phénomène est la conséquence de l’enrichissement de nos eaux par des nutriments d’origine surtout agricole, nitrates et particulièrement phosphates. C’est un phénomène qui risque de s’accentuer dans les années à venir, à moins d’une transformation radicale des techniques agricoles.
Sur certains parcours la pêche, même à la mouche, devient pratiquement impossible. Il arrive de voir les herbes se soulever en vagues successives, provoquées par les déplacements d’invisibles saumons sous les prairies aquatiques.
Dans ces conditions, il devient indispensable de procéder à un faucardage modéré et judicieux, à l’exemple de ce qui se pratique, depuis bien longtemps, dans les chalk-streams anglais. Dans les comtés du sud de ce pays, le faucardage est obligatoire et un calendrier fixant les jours de faucardage par rivière est même établi chaque année. On y pratique un faucardage sélectif, à la main, soit du bord avec de longs et lourds faucards traditionnels (leur lame est large et lourde pour aller directement au fond et ils sont armés d’un très long manche d’au moins 3.50 à 4 m.), soit en marchant dans l’eau avec des faux à manche court, en métal léger.
Pour les hydrobiologistes, la masse de végétaux ne doit pas dépasser le quart du volume d’un cours d’eau. De façon plus pragmatique, pour les “river keepers” anglais, la proportion idéale est de un tiers de la surface de l’eau couverte d’herbes et des deux tiers libres. Lorsque le lit de la rivière est trop étroit, les bancs d’herbes doivent être conservés alternativement, contre l’une ou l’autre rive. Voici ce qu’écrivait le célèbre “river keeper” anglais Frank Sawyer dans son classique “Keeper of the stream” : “Là où la pêche est possible, je m’efforce de laisser environ 1/5 de la végétation qui pousse en eau profonde (plus d’un mètre) et environ 1/3 dans les parties peu profondes. Mais là où la nature de la rivière est telle que la pêche y est impraticable, alors je coupe juste assez d’herbes pour permettre le passage de l’eau et des herbes à la dérive….”
Dans l’Avon, large rivière du Wiltshire, Frank Sawyer laissait les herbes sous forme de barres de 4.50 m de longueur, en travers du courant, et coupait la plus grande partie des herbes entre ces barres, sur une longueur de 40 à 50 mètres.
Ce qu’il faut éviter c’est la formation de longs couloirs dégagés longitudinaux qui concentrent le courant.
Il est nécessaire de couper sans brutalité pour ne pas arracher le pied de la plante. Il convient aussi de prévoir un barrage flottant en bois (weed-rack en anglais) pour récupérer à l’aval les herbes “coupées”.
Le faucardage des renoncules aquatiques doit coïncider avec les périodes de floraison, ou juste après. S’il est effectué trop tôt, la repousse des plantes est encore plus vigoureuse. S’il est effectué bien après la floraison, la croissance des plantes se réduit et elles peuvent même crever.
Comme un jardin, une rivière bien entretenue est une source de richesse piscicole, de plaisir pour les yeux et de satisfaction pour le pêcheur.
(Nous remercions Raymond Rocher pour ses précieuses informations concernant l’entretien des cours d’eau anglais dont il a une très longue expérience et qui nous ont permis la rédaction de cet article.)
Il est à noter que nos rivières bretonnes, à dominantes granitiques, ne peuvent être comparées aux rivières crayeuses (type chalk-streams) quant au développement de la végétation aquatique. La prolifération anarchique des herbiers que nous pouvons observer depuis plusieurs années, n’est que la conséquence du déversement incontrôlé de phosphates et pour une moindre mesure de nitrates dans les cours d’eau.
En réduisant les herbiers par le faucardage, nous ne résoudrons que partiellement le problème, mais nous ne nous attaquerons pas à la source du mal.